Au cours de mes recherches, j’ai découvert la condamnation à la relégation d'une jeune femme punie d'une faible peine de quatre mois d’emprisonnement pour vol et son départ pour Nouméa.
Etonnée, j’ai creusé un peu la question. Les Archives Nationales d'Outre-mer (ANOM) conservent les dossiers individuels des bagnards et ont mis en ligne les registres matricules. J'ai pu ainsi sélectionné les dix-neuf femmes condamnées aux travaux forcés ou à la relégation en Nouvelle-Calédonie par le Tribunal de Lyon. Et trouver leurs dossiers judiciaires aux Archives départementales du Rhône.
Plus de 29.000 personnes ont été envoyées au bagne de Nouvelle-Calédonie entre 1864 et 1897. La majorité était des « transportés » condamnés à des peines de travaux forcés, d’autres des « relégués » avec de faibles peines d’emprisonnement mais une interdiction de retour en métropole et enfin des « déportés », condamnés politiques, notamment lors de la Commune ou les insurgés algériens. Très peu de femmes venant de Lyon et apparemment aucune politique.
Départs avant 1885
Entre 1872 et 1882, sept femmes sont "transportées" en Nouvelle-Calédonie.
Louise B. « fille soumise » habite l’hôtel Paradis. Un soir d’avril 1872, elle et son amant abordent un garde républicain en permission débarqué à la gare de Perrache et lui proposent une bière à la brasserie Georges. Il a une course à faire au quartier de la Vitriolerie (quartier Général-Frère). Les deux complices l’accompagnent et traversent avec lui le pont du Midi (pont Galliéni). Arrivés au port sur la rive gauche du Rhône, ils l’agressent pour lui soustraire son porte-monnaie et sa montre en argent. Il réussit à s’enfuir malgré treize blessures à l’arme blanche. L’homme récolte vingt ans de travaux forcés et Louise dix.
Pauline C. a commis un infanticide sur son enfant nouveau-né avec la complicité de son mari. Vingt et quinze ans. Ils partent avec leur fils aîné âgé de quatre ans.
Marie B., célibataire, a tué son bébé avec la complicité de sa tante Etiennette B. et de l’époux de celle-ci. Les trois sont condamnés, l’homme à perpétuité et les deux femmes à dix ans.
Marie D. et Jeanne M. sont accusées de recel de vols qualifiés. Enfin Mariette B., la dernière condamnée aux travaux forcés par les Assises du Rhône en 1882, est reconnue coupable d’homicide sur son mari.
Après la loi de 1885 sur les récidivistes
La loi de 1885 modifie le profil des femmes envoyées par les tribunaux lyonnais en Nouvelle-Calédonie. Elles sont douze à embarquer vers la colonie entre 1886 et 1894, condamnées à de faibles peines, quatre à six mois de prison pour vols ou abus de confiance, une pour vagabondage, mais elles sont récidivistes. Le voyage dure environ deux mois.
Que sont-elles devenues?
Une seule rentre à Lyon après une douzaine d’années en relégation individuelle. Elle avait laissé un mari et deux enfants. Pas sûr qu’elle les ait revus à son retour. Devenue veuve, elle se remarie à cinquante-cinq ans avec un menuisier.
Sept d’entre elles ont épousé sur place des bagnards qui avaient reçu une concession. Marie B. se marie trois ans après son arrivée avec un scieur de long qui avait été condamné pour homicide. Ils auront trois filles qui feront souche en Nouvelle-Calédonie. Les mariages reçoivent l’autorisation du gouverneur et les témoins sont des gardiens.
Pauline C. et son mari, tous deux condamnés, ont emmené leur enfant. Ils en auront deux autres à Nouméa. Revanche sur le destin ? Leur fils aîné devient greffier de la colonie.
Emilie D., voleuse récidiviste, a dû laissé son fils naturel dans le Rhône. Il sera placé dans des familles d’accueil et mourra à seulement vingt-quatre ans dans l’Ain. Elle épouse à Nouméa un bagnard qui a le même statut qu’elle et leur fils fait souche.
la mortalité est moins élevée qu’en Guyane, et elles sont arrivées assez jeunes. Elles passent en moyenne dix-sept ans en exil et meurent aux alentours de la soixantaine.
Sources : La Nouvelle-Calédonie « une colonisation pas comme les autres ». Entretien avec Michel Naepels – l’Histoire octobre 2018 ; Archives départementales du Rhône ; Archives municipales de Lyon ; Archives Nationales d’Outre-Mer ; BnF Passerelles Département des Cartes et Plans, Société de géographie, Sg Wg 40 (52)- Ernest Robin 1872